MOGADOR
Diptyque, 50x70cm, impressions pigmentaires contrecollées sur aluminium, matériaux d’archive, vidéo, 15’
Cité internationale des arts, paris. 05.02 / 08.02.2021



L’île-prison de Mogador est située dans le sud- ouest du Maroc, au large d’Essaouira. Désertée par les hommes, interdite à la visite par les autorités marocaines, rares sont celles et ceux qui s’y sont aventurés. Pour les habitants de la cité d’Essaouira, c’est un lieu hanté, seulement peuplé d’oiseaux et de fantômes. Fantasmes et superstitions s’attachent à cette terre désolée dont l’histoire, entre mythes et légendes, semble impossible à reconstituer.
À la suite d’une complexe procédure administrative, j’ai fini par obtenir l’autorisation de visiter l’archipel de Mogador. J’étais attiré par l’île et le mystère de ses anciens occupants. Tout autant fasciné par l’architecture de sa prison à ciel ouvert que terrifié par l’imaginaire carcéral dont elle est le fruit. Quatre murs, plantés au milieu de l’île, forment un enclos démesuré (15 000 m2) : une clôture de pierre qui animalise un prisonnier déjà séparé du continent, déporté entre les “murs de la mer”.
En observant ces hautes murailles, comment ne pas penser à l’architecture de réclusion et de souffrance de la prison de Tazmamart (1972-1992) et aux récits de Marzouki, de Jelloun et d’Oufkir, écrivains marocains qui y ont séjourné ? La prison-muraille de Mogador apparaît comme un symbole d’oppression et de domination impérialiste, renvoyant non seulement à la tradition des prisons secrètes dans le Maroc d’aujourd’hui, mais aussi aux murs-frontières et aux clôtures qui se multiplient dans nos sociétés.
J’ai photographié Mogador durant une nuit de double lune, ou de “lune bleue” : un phénomène astronomique rare, source de croyances astrolo- giques et ésotériques, durant lequel la réverbération de la lune est intense. La clarté de la lune bleue, associée à de longs temps d’exposition et à la forte sensibilité de mon appareil, m’ont permis de produire ces images nocturnes. L’île et sa prison semblent appartenir à un monde extraterrestre, atemporel et chimérique, privé de ses couleurs habituelles, flottant dans un espace et un temps incertains. La nature ambigüe de ces images, entre archives et visions hallucinées, suscite le doute chez le regardeur : est-ce que cela a bien été ? Elle traduit l’amnésie qui frappe ces lieux et barre l’accès à l’expérience traumatisante dont ils furent la scène.